V. Masson-Delmotte : Liens entre pluies intenses et changement climatiques

, par françoise

Un message de Valérie Masson-Delmotte : juin 2016

*******************************
Dans le contexte des intempéries récentes, on entend dans les média tout et n’importe quoi sur les relations entre précipitations record et changement climatique.

Comment relier un évènement ponctuel (lié à la situation météorologique) et des changements de long terme ?

Les chercheurs en sciences du climat développent des analyses des observations et des simulations pour évaluer s’il y a ou non des changements significatifs dans l’intensité ou la fréquence des évènements extrêmes (ce qu’on appelle la détection) et, le cas échéant, comprendre les causes de changements (ce qu’on appelle l’attribution). De nouvelles méthodes sont mises au point pour comprendre si la même situation météorologique (direction des vents) aurait eu le même effet ou pas, avec ou sans réchauffement du climat.

L’augmentation de l’effet de serre, due aux activités humaines, entraîne un réchauffement des océans et de l’atmosphère, près de la surface. Le réchauffement des océans peut renforcer l’évaporation. Une atmosphère plus chaude peut potentiellement transporter 7% d’humidité en plus par degré de réchauffement (Clausius-Clapeyron). Mais des questions restent ouvertes sur la manière dont le réchauffement peut affecter la circulation atmosphérique, ou les mouvements verticaux, importants pour les pluies de forte intensité.

En 2013, le 5ème rapport du GIEC, Groupe I (www.ipcc.ch) avait fait l’évaluation suivante :

 la fréquence ou l’intensité des épisodes de fortes précipitations a probablement augmenté en Amérique du Nord et en Europe. Sur les autres continents, le degré de confiance associé à la transformation des fortes précipitations est au mieux moyen.

 il est probable que les influences anthropiques affectent le cycle mondial de l’eau depuis 1960. Les influences anthropiques ont contribué aux augmentations du contenu atmosphérique en vapeur d’eau (degré de confiance moyen), à des changements de la distribution spatiale des précipitations sur les continents à l’échelle du globe (degré de confiance moyen), à l’intensification des épisodes de fortes précipitations sur les régions continentales où les données sont suffisantes (degré de confiance moyen) et à des changements de salinité océanique en surface et en subsurface (très probable).

 les épisodes de précipitations extrêmes deviendront très probablement plus intenses et fréquents sur les continents des moyennes latitudes et dans les régions tropicales humides d’ici la fin de ce siècle, en lien avec l’augmentation de la température moyenne en surface

De nouveaux travaux ont été publiés depuis 2013 dont voici quelques exemples :

 une étude basée sur la modélisation du climat de deux chercheurs suisses en 2015 a montré qu’aujourd’hui, avec 0,85°C de réchauffement, principalement dû à l’influence humaine, celui-ci a affecté 18% des évènements de précipitations intenses sur les continents (et 75% des vagues de chaleur). Pour 2°C de réchauffement, cette proportion passerait à 40% des évènements de précipitations intenses. Ils soulignent à quel point l’effet n’est pas proportionnel au réchauffement global pour les évènements les plus intenses.

 un rapport complet de l’Académie des Sciences américaine sur l’attribution des évènements extrêmes, qui fait le point sur les développements récents permettant d’évaluer le poids de l’influence humaine à l’échelle de l’évènement, les limites des outils et méthodes, et les incertitudes associées.

Pour la France, plusieurs études ont porté sur les records de précipitations.

 une première analyse pilotée par Robert Vautard a porté sur les records de pluies dans les Cévennes.
Elle montre une forte augmentation des records d’automne dans cette région, depuis les années 1950 (+4% par décennie) et une forte relation avec le réchauffement de la région.

 une autre étude tout juste publiée par Philippe Drobinski et présentée au colloque CORDEX montre que l’augmentation de l’intensité des précipitations extrêmes de tout le pourtours méditerranéen devrait suivre la relation de Clausius Clapeyron (7% de plus par °C de réchauffement local), avec un rôle tout particulier du réchauffement de surface de la Mer Méditerranée.

 une étude également toute fraîche sur les précipitations les plus intenses dans le sud de la France pilotée par Juliette Blanchet. Elle conclut à une tendance à l’augmentation sur la moitié de la région étudiée, en particulier sur les reliefs (Cévennes-Vivarais et Alès) et dans la vallée du Rhône tout en soulignant les limites liées à la durée et la densité des observations.

 et pour finir, une étude sur les risques futurs pour les précipitations intenses et les inondations combinant modélisation régionale du climat et modélisation hydrologique en Europe, pilotée par Philippe Roudier, pour un scénario modeste de réchauffement global (+2°C). Il conclut à une forte augmentation du risque d’inondation en France, et un signal très robuste (= commun aux 11 modèles de climat et 3 modèles hydrologiques étudiés) comme illustré sur la figure ci-dessous.

Il faudra du temps pour que les chercheurs qui développent ces méthodes puissent analyser les évènements de forte pluie de ces derniers jours, mais il semble que de nombreux records de précipitations aient été dépassés, dans un contexte également de températures de surface élevées sur l’Océan Atlantique au voisinage de l’Europe.

Ces éléments demandent de prendre en compte le risque d’une augmentation de l’intensité des pluies record pour la gestion de l’écoulement des eaux, en protégeant les zones humides pour bénéficier de leur effet "tampon".
********************************